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INSURECTIONS DE 47 ET 71 : Le professeur Lucile Rabearimanana en parle


 

Comme chaque année, les dates du 29 mars et 01 avril ne passent pas inaperçues. Pour 2016, l’ambiance a été un peu chaude a l’image de la scène en publique dont les héros principaux sont des hauts gradés de la gendarmerie nationale exerçant des postes réservés aux hauts commis d’Etat. Lors d’un entretien accordé à Délire Madagascar, le professeur Lucile Rabearimanana a rappelé que c’était la gendarmerie qui a réprimé le mouvement populaire dirigé par le MONIMA dans le Sud en avril 1971. D’ailleurs, le colonel Richard Ratsimandrava, commandant la gendarmerie nationale à l’époque, avait reconnu sa responsabilité dans cette affaire. Interview exclusive pour Délire Madagascar.

Delire Madagascar (DM) : Professeur Lucile Rabearimanana, la nation vient de célébrer 29 mars. Qu’est-ce à dire sur ce sujet ?

Lucile Rabearimanana (LR) : « Oui c’est vrai ! On a commémoré l’anniversaire des événements de 47, plus précisément de l’insurrection de 1947. Effectivement il y a 69 ans, des nationalistes malgaches qui revendiquaient l’indépendance ont pensé qu’il n’était pas possible d’obtenir cette indépendance là de manière légale, par exemple en s’appuyant sur le Charte de San Francisco qui est à l’origine de la fondation de l’ONU, ni sur des dialogues à entamer auprès des responsables français, que ce soit au niveau du gouvernement ou à la chambre des députés. Ils ont pensé que ce n’était pas possible parce que deux députés : les Dr Joseph Raseta et Joseph Ravoahangy ont essayé de déposer un projet de loi dans ce sens en mars 1946, mais çà n’a rien donné. Cà n’a même pas été examiné. Et donc, certains nationalistes croient qu’il serait démagogique de penser que l’indépendance pourrait être obtenue par la voie légale. Donc, l’aile d’extrême gauche des nationalistes est convaincue qu’il fallait prendre les armes et renvoyer par la force, manu militari, les colons et l’administration coloniale pour obtenir cette indépendance là. D’autant plus qu’il y a un exemple illustre qui a précédé l’insurrection de 47, c’est-à-dire la lutte de libération nationale de Ho Chi Min au Viet Nam qui a commencé en novembre 1946. Seulement, cette insurrection nationaliste a échoué. Mais même si elle a échoué, il faut remarquer que ce n’est pas seulement sur la côte Est qu’elle a éclaté. Elle a éclaté aussi sur les hautes terres centrales. Je prends l’exemple du pays betsileo. Elle a éclaté aussi en pays tsimihety où les insurgés sont arrivés jusqu’à Marotandrano. Ensuite, il y a plusieurs localités où l’insurrection a été aussi préparée, même si elle n’a pas pu éclater. Je prends le cas de Diego Suarez. Il y a eu un début d’éclatement de l’insurrection lorsque des insurgés ont commencé à transporter les armes d’un dépôt d’armes. De même à Tana, il a été préparé une insurrection par le Lt Albert Randriamaromanana. Mais au dernier moment, l’insurrection a été désamorcée du fait que le lieutenant s’est rendu compte que la préparation a été bâclée. Il a dit : « Non, non, non ! Ce serait du sang versé de manière effroyable ӑ Tana si on faisait quelque chose ». De même à Fianar et Majunga, on a commencé à préparer l’insurrection. A Andapa aussi et dans d’autres villes et régions, l’insurrection a été carrément entamée. Je pense au cas d’Antalaha, de Sambava, de Befandriana-Nord, le MDRM a été particulièrement actif et les populations étaient enthousiastes à l’idée de l’indépendance, même s’il n’y a pas eu préparation d’une insurrection. Je voudrais faire remarquer en outre que l’insurrection n’a pas été préparée et déclenchée par l’état-major du MDRM, mais plutôt par les dirigeants des deux sociétés secrètes, c’est-à-dire la JINA et le PANAMA qui sont des nationalistes, quoi qu’on dise. »

 

DM : Et au sujet du 1er avril 1971 Professeur ?

LR : « Le 1er avril 1971 dont on a commémoré le 45ème anniversaire hier et aujourd’hui, je veux dire le MONIMA, Mouvement National pour l’Indépendance de Madagascar, parti fondé par son président le nationaliste de longue date Monja Jaona, a vu le jour en juillet 1958. Et il existe toujours jusqu’à maintenant. Le MONIMA a préparé un mouvement d’opposition illégal au régime de la première République malgache. Il ne pouvait pas manifester de manière légale parce que quand on parle de la première République malgache, il faut dire que c’était un régime particulièrement autoritaire, voire despotique où il n’y avait pas du tout ni liberté de presse ni liberté d’expression quelconque, et où les élections n’étaient pas du tout libres. Ce n’est pas à tort qu’on la qualifiait de régime néocolonial, parce que par exemple il y a des institutions coloniales comme l’impôt du minimum fiscal, la capitation demeurait toujours valable et était toujours perçue, ou encore l’impôt sur les bœufs qui continuait d’être perçu. Les citoyens malgaches constataient que c’était encore la période de la colonisation sous une nouvelle forme. Les structures économiques de la colonisation étaient toujours là. Les gros colons et les petits colons étaient toujours là sur place, accaparer toujours les terres. De même, les Compagnies Marseillaise et Lyonnaise de Madagascar survivaient là. Et les entreprises industrielles qui s’implantaient étaient des entreprises françaises et pas malgaches très peu venant de l’extérieur. Et donc, le MONIMA a pensé qu’il n’était pas possible de se débarrasser d’un régime aussi autoritaire, despotique même, sans une manifestation qui n’était pas autorisée. Cette manifestation a alors éclaté le 1 avril dans le Sud. Mais la même manifestation se préparait aussi dans la capitale, il y avait des sections du MONIMA à Ambatondrazaka, à Majunga et dans la région d’Ambanja et Nosy-Be. Et même si çà n’a pas éclaté là-bas ni à Antsirabe, il y a eu des arrestations préventives. Toujours dans le Sud de Madagascar, alors la répression effectuée par la gendarmerie a été terrible, on se croirait encore en 1947, c’est-à-dire une répression militaire que je qualifierais de sauvage, et où les gens n’avaient même pas le droit de ramasser les cadavres de leurs parents décédés, parce que la répression était là. C’était le cas notamment à Ampanihy, et à Belamoty. Toujours est-il qu’il y a eu des centaines de morts et des milliers d’arrestations, et certains parmi ces militants arrêtés ont été carrément envoyés au bagne de Nosy-Lava. Il y a eu aussi des arrestations et des emprisonnements à Antananarivo, à Antsirabe, à Tamatave, à Majunga etc. Ils n’ont été relâchés qu’après la chute de la première République. Remarquons que même si çà a été réprimée, ces gens là ne sont pas morts pour rien. Je veux dire par là que les manifestations du mois d’avril 1971 ont eu pour conséquence d’ébranler fortement la première République et que les événements de mai 72 n’ont fait que parachever la chute d’un régime déjà ébranlant. »

Propos recueillis par Razaka Oliva


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